HISTOIRE / DE L’AIR ET DE L’ESPACE

A trop vivre dans des murs, l’art perd ses couleurs. Sa voix flétrit, ses formes s’alourdissent. Depuis longtemps, on le sait. Ils ont été nombreux à vouloir ouvrir les fenêtres : surréalistes, dada, révolutionnaires russes, et puis au début des années cinquante, dans cette Amérique très conservatrice, des jeunots pleins d’énergie, des empêcheurs de peindre en rond, bruyants, malpolis, qu’on appellera plus tard les « Arteurs ».

Pour Robert Rauschenberg et John Cage, qui forment l’avant-garde, aucune hésitation. Les murs empêchent de voir ? Cassons les murs et mettons la création dans l’espace public.

L’été 1952, au Black Mountain College, le chorégraphe Merce Cunningham, la poétesse Mary Caroline Richards et Tudor les ont rejoints. Ils vont ensemble produire la première performance de l’histoire. Une sorte de manifeste « arteur », furieux et tendre, qui enchevêtre les sons, les images, théâtral et vivant.

Comme Cage le dit à cette époque : «Nous voulons montrer au spectateur comment il peut transformer sa vie quotidienne en une suite d’expériences artistiques ». Liberté des mots et des matériaux, liberté des lieux : patinoire (Rauschenberg), parkings automobiles (Ann Halprin), terminal ferroviaire (Allan Kaprow)… « C’est un hors-les-lois et les catégories, un obscurcisseur, dit John Cage. Il fait entendre le battement d’un cœur, une porte, un piano préparé, la chute d’un sac, un morceau de chocolat blanc (Beuys). Il dérange, il séduit. Il est vilain, il est joli, il jette dans la mer une feuille d’or (Yves Klein). Il enveloppe des îles de plastique rose (Christo).

Parce qu’il exècre la consommation et l’efficacité qui nous inflige le résultat. Parce que les dates, les étiquettes, le statut, la convenance lui sont étrangers, il tente l’expérience de l’instant. Mobile et éphémère.

« Transformer sa vie quotidienne en une suite d’évènement artistiques » Kossi Homawoo souligne ce passage d’un texte de Jean-Clarence Lambert, consacré à ce demi-siècle de création. Il y a vingt ans, Kossi refusait déjà le statut d’artiste. Il préférait voir un acte de liberté et de lumière, traduisible de multiples manières. Des lampes, des tableaux, des objets qui n’appartiennent pas à une catégorie, uniques et multiples, qui vont visibles, audibles, que l’on mange, que l’on partage et que l’on allume le soir.

En somme, d’inviter l’artiste et celui qui le regarde à vivre ensemble, d’établir des collaborations, de jeter des passerelles. L’homme de la rue mérite mieux que la solitude. Et l’arteur aussi.