Jérôme Bonnot

A QUOI CETTE VIE POURRAIT RESSEMBLER

Et si le monde n’était pas exactement à la place que nous pensons ? Vous regardez les images de Jérôme Bonnot, et l’idée vous vient que la réalité n’est jamais simple. C’est-à-dire qu’elle peut se conjuguer au pluriel, dans une possible superposition. Le temps et l’espace se chevauchent, ils croisent leurs lumières conditionnelles.

Un jour, le photographe (Jérôme)  pénètre dans une maison vide. Ses occupants viennent de la quitter. L’histoire ne dit rien d’autre. Les objets sont à leur place, les meubles, les cheminées. Sur les murs, il y a la marque des tableaux, et “j’ai cette impression que quelque chose a été interrompu, mais que la vie peut reprendre. Elle est là en suspens. Je la perçois distinctement, et je la photographie.”

Sur son cliché, une femme passe, dans un voile, à demi suspendue. On peut imaginer beaucoup de choses. Elle va d’une pièce à l’autre, elle poursuit une conversation. Aucun bruit n’est audible, juste un déplacement léger, sous la lumière tombée d’une verrière. “Je cherche ces lieux, juste au moment de l’abandon, poursuit le photographe toulousain. C’est un moment qui dure très peu, quelques jours plus tard, d’autres viendront et le saccage va commencer. C’est assez fragile comme instant, il ne dure jamais longtemps, à peine le temps de le photographier.”

Longtemps Jérôme a hésité entre deux “réalités” de la photographie. Les premiers pas ? “Sans doute de remonter à l’époque de mes premières images, vers les 12 ans. Des amis, les vacances, rien d’artistique, de l’enregistrement. Au fond, la photographie se fait avec l’information d’un côté, le constat, et puis la création artistique. Je l’ai découverte, cette création, au Château (pôle photographique toulousain), qui exposait dans les années 80 Depardon, William Klein, Koudelka, Salgado…” Il marque un temps d’arrêt. Parce que ce sera sans doute un déclencheur. Clic-clac. Bouclé le sac et mettre le cap vers l’ailleurs.

La photographie de Salgado lui a suggéré ce croisement que le témoignage et l’art peuvent nourrir. Ses voyages en Thaïlande (camp de réfugiés) et à Madagascar (pénitentiaire) vont suivre ce fil. Mais au retour, le travail revient aussi à la lumière du laboratoire.  Jérôme Bonnot souligne souvent ce fait: “je suis tireur d’images”.  Son passage aux laboratoires Harcourt lui a donné cette maîtrise. Bref, l’image est là, et l’intervention peut commencer. Dans l’épaisseur argentique, dans ce magma organique des pixels, une autre réalité voit alors le jour.

Et si la rencontre avec Kossi Homawoo commençait de cette façon? Dans cet envers de la réalité, dans cette profondeur qui s’ouvre comme une trappe de clarté. “Et cette manière qu’il a de traiter sa réalité dans la lumière, c’est-à-dire une lumière qui émane, très complexe, sans source véritable.” On est alors à quelques centimètres de la magie. Vous êtes dans un lieu, cette femme y était, mais ça ne se passait pas ici, ou pas encore, c’est une affaire de patience et d’équinoxe.

Les photos de Jérôme Bonnot n’ont pas de genre particulier. Elles témoignent de cette chose qui n’existe pas, elles sont la preuve de l’irréel, une manière de dire que c’est vrai et totalement illusoire. Ou bien est-ce le contraire ?

RC (ZO mag’)